Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
23 juillet 2009 4 23 /07 /juillet /2009 20:32

Amis, défenseurs du patrimoine, vous trouverez ci-dessous le texte intégral du courrier que nous avons adressé au nouveau ministre de la Culture et de la Communication, quelques jours après sa nomination. Nous sommes toujours en attente de sa réponse.

Par ailleurs nous sommes en train de réfléchir à la suite que nous allons donner à cette décision de Madame Albanel, autorisant les travaux. Vers un éventuel recours ? Nos y réfléchissons !

Il est évident que vous serez très vite informés.


---------------------------------------------------------------
Supplique en faveur de l’hôtel Lambert

 

Monsieur le Ministre,

 

Loin d’entériner un projet consensuel et de clore les débats, le feu vert donné par Christine Albanel au projet de restauration de l’hôtel Lambert ne fait que raviver les inquiétudes du public et des spécialistes. Cette décision qui témoigne d’une ignorance intolérable relativement à un édifice de cette importance de l’actualité et de l’excellence des savoir-faire répandus dans toute l’Europe inspire des doutes quant à la capacité de notre pays d’assumer la gestion de son patrimoine. Par un concours de circonstances incompréhensible, la gravité des opérations qui compromettent le destin de l’un des fleurons du patrimoine parisien a été volontairement sous-estimée, notamment par la Commission nationale des Monuments historiques. Les amendements obtenus par cette dernière sont minimes au regard du traumatisme qu’on s’apprête à faire subir au bâtiment.

 

Sur le plan patrimonial, le défaut de convenance entre le projet et la valeur d’art et d’histoire du bâtiment est cruel et manifeste. Le retour à un état antérieur idéalisé, l’adoption selon la formule de Viollet-le-Duc d’ « un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné » dénotent une attitude rétrograde difficile à accepter pour un projet de restauration de tout premier ordre. Faut-il rappeler que l’hôtel Lambert classé en totalité s’inscrit dans un site protégé par l’Unesco au titre du patrimoine mondial, au cœur de la capitale d’un pays signataire de la Charte de Venise ? La situation est d’autant plus critique que le principe de cette translation de la réalité présente vers un âge d’or hypothétique s’accompagne de l’intégration dans la structure du XVIIe siècle de la panoplie complète des composantes d’un luxe contemporain dont l’insertion est à la fois mutilante et irréversible.

 

D’un point de vue purement technique, les meilleurs spécialistes du bâti ancien mesurent et déplorent l’étendue des risques qu’on s’apprête à faire subir à la construction pluriséculaire parvenue jusqu’à nous presque indemne, sans égard pour son caractère unique, sa préciosité et sa très grande fragilité. On le sait, il est imprudent de créer d’importants locaux souterrains en bordure de Seine, tant sous la cour que sous le jardin, choquant de percer trois nouvelles cages d’ascenseur ex nihilo au détriment de structures existantes dont un escalier ancien toute hauteur, insensé de soumettre tous les étages d’une construction de ce type et de cet âge aux exigences de la climatisation, grotesque enfin d’invoquer le développement durable dans le cadre d’une opération qui relève d’un chantier d’exception.

 

Monsieur le Ministre, ceci est une supplique : votre nomination récente et le séjour que vous venez d’effectuer à Rome vous donnent un recul dont ne disposaient peut-être pas ceux qui, par dilution des responsabilités, viennent de réserver à un édifice d’une valeur patrimoniale analogue à celle de la Farnésine ou de la villa Madame un destin rien moins que pitoyable. Comment arguer devant des pays de l’Union européenne tels que l’Italie ou l’Espagne que la satisfaction d’un besoin passager – le garage de 4 véhicules – a engendré une action aussi barbare que le bouleversement des sous-sols de l’édifice ? Logerait-on un parking sous la villa Médicis ? Perforerait-on les voûtes et les planchers du Palais Barberini ? Comment justifier auprès des générations futures d’avoir laissé affubler l’hôtel Lambert de pots-à-feu, d’épis de faîtage et de lucarnes de tel ou tel modèle dans l’optique naïve de rendre l’édifice plus beau qu’il n’est déjà ?

 

Laisser commettre ces forfaits dans la position de sachants où nous sommes n’est pas rendre justice à la bonne volonté d’une famille de commanditaires dont on sait, ainsi qu’en témoigne le récent musée de Doha, la priorité qu’elle accorde à l’excellence architecturale. La déontologie et un sens de l’hospitalité même élémentaires exigent qu’on renseigne avec sincérité le Prince Hamad Ben Khalifa Al-Thani de l’appartenance de l’hôtel Lambert aux plus hautes sphères du patrimoine international et des implications qui en résultent. Il est temps encore de dissiper ce climat de courtisanerie servile et aveugle qui a conduit les maîtres d’œuvre chargés de l’opération à satisfaire sans distance critique aux impératifs stéréotypés d’un luxe de convention, à s’écarter du véritable intérêt d’un commanditaire susceptible de nous reprocher un jour très amèrement la dévastation de son bien, mais trop tard.

 

Nous vous soumettons en pièce jointe le texte de la pétition que nous avons lancée en février dernier ainsi qu’une liste de personnalités parmi les 8000 pétitionnaires qui se sont manifestés en faveur d’une réorientation du projet de restauration. Nous y ajoutons le texte d’une interview récemment accordée par Michèle Morgan sur cette maison qu’elle a longtemps habitée. Cette expression sincère et colorée d’une désapprobation partagée par tous les connaisseurs exprime en peu de mots ce que la partenaire de Jean Gabin a elle-même qualifié avec modestie de « bon sens populaire ». Enfin, nous avons l’honneur de vous informer que l’association « Paris Historique » va déposer un recours contre la décision de Christine Albanel, selon les procédures légales.

 

Monsieur le Ministre, vous avez le pouvoir d’enrayer la course de cette machine infernale, de réorienter l’opération ignominieuse qui se profile et de métamorphoser cette campagne de restauration très attendue en un projet « phare », qui puisse conférer à la France le rôle d’avant-garde qu’on est en droit d’attendre d’un pays dont les richesses patrimoniales sont quasi sans égales. Puisse l’engagement dont vous avez fait preuve en maintes circonstances vous déterminer à considérer l’étendue du désastre imminent, à vous saisir à bras-le-corps de ce projet, et faire de la restauration de l’hôtel Lambert l’une des réussites personnelles de votre ministère.

 

Nous vous prions, Monsieur le Ministre, d’agréer les assurances de nos sentiments très respectueux.

 

 

 

 

Jean-François Cabestan, architecte du patrimoine, université de Paris 1 et
Pierre Housieaux, Président de l’association « Paris Historique »

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Sauvegarde et Mise en valeur du Paris historique
  • Contact

Profil

  • Sauvegarde et Mise en valeur du Paris historique
  • association fondée en 1963 pour "entreprendre et mener toute action permettant de promouvoir, de protéger et de faire connaître les quartiers
 de Paris, afin de sauvegarder leur harmonie architecturale et sociologique".
 Pierre Housieaux, prési
  • association fondée en 1963 pour "entreprendre et mener toute action permettant de promouvoir, de protéger et de faire connaître les quartiers de Paris, afin de sauvegarder leur harmonie architecturale et sociologique". Pierre Housieaux, prési

La presse en parle...

LE MONDE | 23.02.09 |


Pour l'hôtel Lambert, faites encore un effort, Monsieur l'architecte en chef !

par Claude Mignot


Le
18 décembre 2008, la Commission du Vieux Paris alertait l'opinion sur la dénaturation importante que subirait l'hôtel Lambert, l'un des grands chefs-d'oeuvre de l'architecture du Grand Siècle, classé Monument historique depuis 1862, si le projet de "réhabilitation" élaboré par l'architecte en chef des Monuments historiques (MH), M. Alain-Charles Perrot, pour le nouveau propriétaire, n'était pas profondément amendé. L'affaire de l'hôtel Lambert, dont Le Monde s'est plusieurs fois fait l'écho, commençait.
Réflexion faite, le plus étrange est que les points les plus discutables du projet, voire les plus scandaleux, tiennent moins aux exigences du client qu'aux choix techniques, aux caprices esthétiques et aux erreurs historiques de l'architecte.
Le premier point, celui par lequel le scandale est arrivé, est le parti de creuser et de cuveler de béton la cour et le jardin, pour installer un vaste parking souterrain et les lourds équipements techniques, électriques et géothermiques retenus par M. Perrot.
Il est assez ahurissant qu'un architecte en chef des MH ait pu proposer de creuser le seul authentique jardin "suspendu" du "Paris Grand Siècle" pour établir un garage trouvant son débouché en plein milieu du mur du XVIIe, dans un site classé au Patrimoine mondial.
Ce parti de plan serait écarté, dit-on, mais faut-il revenir simplement au projet initial, que les services de la Ville avaient déjà rejeté : parking sous la cour et plateau technique sous le jardin ? Il présente deux inconvénients majeurs : le passage de béton reliant les deux cuvelages passe sous les caves du corps principal et viendra couper les pilotis de bois sur lequel repose l'hôtel Lambert, comme tous les vieux hôtels de l'île Saint-Louis ; d'autre part, même si le cuvelage technique est un peu réduit, l'authenticité et la beauté du jardin resteront fortement altérées.
Une seule solution est correcte d'un point de vue patrimonial : garer les voitures en surface, dans les anciennes remises de carrosse et dans le passage cocher existant sur le quai, comme le faisaient les Rothschild, les précédents propriétaires, ce qui permettrait de placer tout le plateau technique sous la cour pour dégager les caves, sans creuser sous le jardin.
Le deuxième point, qui fait aussi scandale, touche la dernière pièce du grand appartement du premier étage, avec son plafond à poutres et solives peintes et dorées avec des figures - putti et médaillons -, que l'étude a reconnu comme authentique, avec des restaurations d'extension limitée. Le projet prévoyait de transformer le noble "cabinet" de M. Lambert en salle de bains et dressing, et de détruire un bon tiers du plafond pour faire passer un ascenseur et une énorme gaine technique. Devant la presse en janvier, l'architecte reconnaissait l'écueil, "concession faite au propriétaire", qui souhaitait un accès direct par ascenseur à sa chambre.
On attendait plutôt qu'il trouve la bonne passe pour l'éviter... derrière la cloison qui retranche depuis le XVIIIe ou le XIXe un quart environ du grand cabinet de travail d'origine, l'ascenseur pouvant remplacer le petit escalier de dégagement installé là. Et, si on y retrouve le quart manquant du plafond peint d'origine, il faudra savoir persuader le nouveau propriétaire, qui aime, dit-on, l'art et Paris, qu'on a des devoirs vis-à-vis du patrimoine qu'on occupe, et que, pour préserver cette découverte, il faudra se satisfaire d'un ascenseur s'arrêtant au premier étage (deux autres ascenseurs n'étant pas si loin) pour ne pas détruire ce qu'on viendrait à découvrir.
Le troisième point est sans doute moins spectaculaire, mais, pour l'architecture comme pour la haute couture, tout est dans les détails autant que dans le grand dessin. Il touche à la doctrine de restauration, qui a fait pourtant l'objet d'accords internationaux signés par la France, la charte de Venise en 1965 et la convention européenne de Grenade en 1985, et dont la règle majeure est le respect des strates de l'histoire.
Or le prince polonais Adam Czartoryski, qui rachète l'hôtel en 1842 et dont la famille le possède jusqu'en 1976, opère une importante restauration avant d'accueillir dans ses salons tous les exilés polonais de Paris et quelques-unes des gloires de la France littéraire. Pourquoi vouloir gommer toute trace de cette seconde brillante période pour restituer un pseudo-état XVIIIe ?
Il est absurde de vouloir remplacer dans la cage du grand escalier la balustrade haute, créée au XIXe, par une balustrade neuve, en s'appuyant sur une gravure dont on peut démontrer la fausseté, comme de substituer au lanternon zénithal en place un lanternon neuf, dont le modèle n'est pas documenté. Absurde aussi de changer le dessin des lucarnes, dont la plupart datent de cette même époque, d'autant que l'opération conduit à déposer les beaux vitraux qui éclairent le corridor de l'atelier installé dans les combles pour le prince polonais par J.-B. Lassus, le restaurateur de la Sainte-Chapelle, à Paris.
En fait, si les deux commissions, qui doivent se réunir prochainement, n'y mettent pas leur veto, c'est tout cet appartement néogothique, y compris l'escalier qui y mène, que s'apprêtent à faire disparaître M. Perrot et M. Pinto, le décorateur dont le rôle est sans doute plus important que ce qu'on en a dit jusqu'ici.
Pourquoi diable faut-il une campagne de presse et d'opinion pour obtenir le respect de notre patrimoine ? Tous les atouts semblaient pourtant ici réunis : un propriétaire amoureux des arts, prêt à dépenser sans compter et donnant carte blanche à un architecte des Monuments historiques, épaulé par un comité scientifique. Mais voilà : l'architecte a une vision archaïque de la restauration, le comité ne comprenait jusqu'il y a quelques semaines ni spécialiste d'architecture ni spécialiste du second-oeuvre, et le ministère pilotait le tout en direct dans le secret.
Maintenant que le dossier est public, espérons que le bon sens patrimonial l'emportera et que l'hôtel Lambert pourra retrouver sa splendeur.


Claude Mignot est professeur d'histoire de l'art et de l'architecture à l'université de Paris-Sorbonne, membre de la Commission du Vieux Paris.

Recherche