Amis, défenseurs du patrimoine, vous trouverez ci-dessous le texte intégral du courrier que nous avons adressé au nouveau ministre de la Culture et de la Communication, quelques jours après sa nomination. Nous sommes toujours en attente de sa réponse.
Par ailleurs nous sommes en train de réfléchir à la suite que nous allons donner à cette décision de Madame Albanel, autorisant les travaux. Vers un éventuel recours ? Nos y réfléchissons !
Il est évident que vous serez très vite informés.
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Supplique en faveur de l’hôtel Lambert
Monsieur le Ministre,
Loin d’entériner un projet consensuel et de clore les débats, le feu vert donné par Christine Albanel au projet de restauration de l’hôtel Lambert ne fait que raviver les inquiétudes du public et des spécialistes. Cette décision qui témoigne d’une ignorance intolérable relativement à un édifice de cette importance de l’actualité et de l’excellence des savoir-faire répandus dans toute l’Europe inspire des doutes quant à la capacité de notre pays d’assumer la gestion de son patrimoine. Par un concours de circonstances incompréhensible, la gravité des opérations qui compromettent le destin de l’un des fleurons du patrimoine parisien a été volontairement sous-estimée, notamment par la Commission nationale des Monuments historiques. Les amendements obtenus par cette dernière sont minimes au regard du traumatisme qu’on s’apprête à faire subir au bâtiment.
Sur le plan patrimonial, le défaut de convenance entre le projet et la valeur d’art et d’histoire du bâtiment est cruel et manifeste. Le retour à un état antérieur idéalisé, l’adoption selon la formule de Viollet-le-Duc d’ « un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné » dénotent une attitude rétrograde difficile à accepter pour un projet de restauration de tout premier ordre. Faut-il rappeler que l’hôtel Lambert classé en totalité s’inscrit dans un site protégé par l’Unesco au titre du patrimoine mondial, au cœur de la capitale d’un pays signataire de la Charte de Venise ? La situation est d’autant plus critique que le principe de cette translation de la réalité présente vers un âge d’or hypothétique s’accompagne de l’intégration dans la structure du XVIIe siècle de la panoplie complète des composantes d’un luxe contemporain dont l’insertion est à la fois mutilante et irréversible.
D’un point de vue purement technique, les meilleurs spécialistes du bâti ancien mesurent et déplorent l’étendue des risques qu’on s’apprête à faire subir à la construction pluriséculaire parvenue jusqu’à nous presque indemne, sans égard pour son caractère unique, sa préciosité et sa très grande fragilité. On le sait, il est imprudent de créer d’importants locaux souterrains en bordure de Seine, tant sous la cour que sous le jardin, choquant de percer trois nouvelles cages d’ascenseur ex nihilo au détriment de structures existantes dont un escalier ancien toute hauteur, insensé de soumettre tous les étages d’une construction de ce type et de cet âge aux exigences de la climatisation, grotesque enfin d’invoquer le développement durable dans le cadre d’une opération qui relève d’un chantier d’exception.
Monsieur le Ministre, ceci est une supplique : votre nomination récente et le séjour que vous venez d’effectuer à Rome vous donnent un recul dont ne disposaient peut-être pas ceux qui, par dilution des responsabilités, viennent de réserver à un édifice d’une valeur patrimoniale analogue à celle de la Farnésine ou de la villa Madame un destin rien moins que pitoyable. Comment arguer devant des pays de l’Union européenne tels que l’Italie ou l’Espagne que la satisfaction d’un besoin passager – le garage de 4 véhicules – a engendré une action aussi barbare que le bouleversement des sous-sols de l’édifice ? Logerait-on un parking sous la villa Médicis ? Perforerait-on les voûtes et les planchers du Palais Barberini ? Comment justifier auprès des générations futures d’avoir laissé affubler l’hôtel Lambert de pots-à-feu, d’épis de faîtage et de lucarnes de tel ou tel modèle dans l’optique naïve de rendre l’édifice plus beau qu’il n’est déjà ?
Laisser commettre ces forfaits dans la position de sachants où nous sommes n’est pas rendre justice à la bonne volonté d’une famille de commanditaires dont on sait, ainsi qu’en témoigne le récent musée de Doha, la priorité qu’elle accorde à l’excellence architecturale. La déontologie et un sens de l’hospitalité même élémentaires exigent qu’on renseigne avec sincérité le Prince Hamad Ben Khalifa Al-Thani de l’appartenance de l’hôtel Lambert aux plus hautes sphères du patrimoine international et des implications qui en résultent. Il est temps encore de dissiper ce climat de courtisanerie servile et aveugle qui a conduit les maîtres d’œuvre chargés de l’opération à satisfaire sans distance critique aux impératifs stéréotypés d’un luxe de convention, à s’écarter du véritable intérêt d’un commanditaire susceptible de nous reprocher un jour très amèrement la dévastation de son bien, mais trop tard.
Nous vous soumettons en pièce jointe le texte de la pétition que nous avons lancée en février dernier ainsi qu’une liste de personnalités parmi les 8000 pétitionnaires qui se sont manifestés en faveur d’une réorientation du projet de restauration. Nous y ajoutons le texte d’une interview récemment accordée par Michèle Morgan sur cette maison qu’elle a longtemps habitée. Cette expression sincère et colorée d’une désapprobation partagée par tous les connaisseurs exprime en peu de mots ce que la partenaire de Jean Gabin a elle-même qualifié avec modestie de « bon sens populaire ». Enfin, nous avons l’honneur de vous informer que l’association « Paris Historique » va déposer un recours contre la décision de Christine Albanel, selon les procédures légales.
Monsieur le Ministre, vous avez le pouvoir d’enrayer la course de cette machine infernale, de réorienter l’opération ignominieuse qui se profile et de métamorphoser cette campagne de restauration très attendue en un projet « phare », qui puisse conférer à la France le rôle d’avant-garde qu’on est en droit d’attendre d’un pays dont les richesses patrimoniales sont quasi sans égales. Puisse l’engagement dont vous avez fait preuve en maintes circonstances vous déterminer à considérer l’étendue du désastre imminent, à vous saisir à bras-le-corps de ce projet, et faire de la restauration de l’hôtel Lambert l’une des réussites personnelles de votre ministère.
Nous vous prions, Monsieur le Ministre, d’agréer les assurances de nos sentiments très respectueux.
Jean-François Cabestan, architecte du patrimoine, université de Paris 1 et
Pierre Housieaux, Président de l’association « Paris Historique »
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